(Temps de lecture : 6 mn)
Je hais les infirmières stagiaires.
Oui je sais, ça se fait pas, tout le monde ou presque aime les infirmières, stagiaires, débutantes ou confirmées. Elles nous soignent, s’occupent de nous dans les pires situations, sont l’objet de fantasmes plus ou moins avouables et de spéculations machistes sur ce qu’elles portent sous leurs blouses. D’accord mais moi j’ai mes raisons.
Enfin il faut que j’apporte quand même un bémol et quelques précisions à ces propos. En fait, je hais les infirmières stagiaires qui posent des perfusions. Surtout quand j’en suis le sujet.
OK, OK, j’ai excité votre curiosité, allez, c’est bon, je vous raconte :
Une bonne heure que je suis dans ce lit. Mon voisin a la jambe dans le plâtre. Il a l’air d’en baver un peu. Il s’est fait renverser par une voiture alors qu’il était à vélo. Mais bon, il a le moral, il sort de la clinique ce matin. Moi j’attends mon tour. Je dois passer tout à l’heure sur la table. Je dois vraiment avoir l’air un peu con avec ce drôle de bonnet qu’on m’a scotché sur la tête. J’essaye de bouquiner un peu, de penser à autre chose. C’est pas une grosse intervention, mais bon je préférerais que ce soit passé.
On frappe à la porte. Les infirmières qui se pointent pour me préparer.
— Vous allez prendre ça. Vous le gardez 15 secondes sous la langue avant de l’avaler. C’est un peu amer
Un peu amer. Tu parles. De la ciguë concentré ce truc. Quoi que au fond, j’en ai jamais goûté de la ciguë. En tout cas c’est dégueulasse. Ça vous laisse le palais dans un état de dévastation avancée. Pour en avoir déjà pris, je sais par contre que tout à l’heure, je vais être à moitié shooté par le produit. Juste avant de grimper sur la table. Étudié pour, pas le temps d’avoir vraiment peur.
— On va aussi vous poser la perfusion.
Alors là c’est déjà nettement moins drôle. On ne peut pas attendre que je sois légèrement dans les vapes ? Ce n’est pas que je sois franchement douillet, mais bon la perfusion, vous savez cette longue aiguille que l’on vous plante dans la veine et par laquelle on va faire passer glucose, calmant et tout le bataclan, bref la perfusion c’est pas vraiment mon truc. Déjà qu’à la moindre petite prise de sang, je détourne la tête et je serre les dents. Bon, courage, ce n’est qu’un petit mauvais moment à passer.
Tiens au fait, pourquoi sont-elles deux les infirmières? En général, une seule suffit à ce genre de manipulation. À moins que …
La vérité me rattrape plus vite qu’un TGV lancé dans la baie du Mont Saint-Michel. Bingo. C’est bien cela, j’ai gagné le cocotier. J’aurai dû me méfier un peu plus. Ça sentait l’arnaque à plein nez. Sur le badge accroché sur sa blouse blanche, je peux lire son prénom, jusque là rien que de bien normal, mais aussi deux mots accolés qui me font froid dans le dos : Infirmière stagiaire. Surtout le deuxième mot en fait.
Mais pourquoi faut-il donc que ça tombe sur moi ? Qu’est ce que j’ai fait pour mériter cela. Je vais servir de terrain d’expérimentation, un travail pratique à moi tout seul pour une petite jeune qui veut se lancer dans le métier. Je veux bien signer tout de suite un papier pour le don d’organes, au moins je ne me rendrai plus compte de rien mais là, je suis encore vivant et conscient. Adieu donc sérénité. Je ne suis pas tranquille, mais le pire c’est que je sens bien qu’elle non plus.
Serait-ce la toute première fois qu’elle s’essaye à ce genre d’exercice ? À entendre les conseils avisés de la professionnelle, je vais opter pour la réponse oui. « Alors là tu vois, tu peux déjà préparer l’aiguille. Après tu cherches bien la veine dans l’avant-bras, il faut bien la faire ressortir. »
C’est cela, cherche la veine, même si je trouve qu’en ce moment je n’en ai pas beaucoup. D’ailleurs vu la difficulté qu’elle a visiblement à la trouver, on doit être au moins deux à être d’accord sur la question. Je rêve ou elle tremble ?
La vraie continue à lui prodiguer conseils et encouragements :
— Vous ne vous faites pas de perfusions entre vous à l’école d’infirmières ?
— Non, c’est interdit maintenant, on n’a plus le droit
Quel est le technocrate imbécile qui a interdit cette pratique. Elle avait certainement le double avantage de faire comprendre à la piqueuse que la lueur d’angoisse qui passe à ce moment là dans les yeux de la victime n’a rien de simulatrice et peut-être aussi de faire chuter de façon spectaculaire le nombre de cobayes désignés d’office. (Ça me fait penser aussi que je hais également les technocrates imbéciles. Qui a dit que c’était un pléonasme?)
Mais bon, autres temps, autres douleurs.
Enfin c’est pas le tout, mais la veine je sens bien qu’elle ne l’a pas encore franchement en main. Ça commence à traîner cette histoire. Quelle pique donc et qu’on en finisse.
Aie, la vache! elle a fini par se lancer. Et moi aussi ça me lance, mais pas de la même manière. Ah la tortionnaire, la sérial-piqueuse! elle devrait postuler pour les interrogatoires de la CIA, peut-être qu’ils embauchent encore du côté de Guantanamo. Si ça se trouve dans le civil elle est adepte de soirées un peu spéciales où elle se déguise en maîtresse femme toute de latex vêtue et le fouet à la main.
L’aiguille est rentrée mais pas forcément au bon endroit. Je dois en faire de belles, des grimaces, surtout que contrairement à mon premier souhait, ça n’en finit pas. Elle a dû rater un truc. Elle tourne l’aiguille dans la veine ou à côté d’ailleurs, qu’est ce que j’en sais au fond ? je sens la pointe qui me trifouille. Des ondes maléfiques qui se propagent dans tout le bras. Qui me remontent même jusqu’au cœur, le retourne comme un gant. J’espère qu’elle m’a bien piqué au bon endroit quand même.
— Ça fait un peu mal ?
— Oui, un peu.
La façon dont j’ai répondu veut dire beaucoup.
— Respirez fort, ça va passer.
Tu parles, elle en a de bonne, elle. Elle n’est pas à ma place. Et puis, ça ne passe pas, ça commence même par durer un peu trop longtemps à mon goût la prospection. Bon elle la trouve ou pas cette fameuse veine, ce filon sanguin qui ne lui rapportera pas à elle la richesse, mais au moins à moi la paix. De mes yeux larmoyants, je supplie la professionnelle d’intervenir. Elle finit d’ailleurs par comprendre ma détresse, s’approche avec autorité.
Tu n’as pas réussi à trouver la veine ?
— Ben, je ne sais pas trop.
— Montre, je vais regarder.
Oh, oui c’est cela, dégage, laisse là regarder les dégâts. Ouf, elle a l’air de prendre les choses en main. Retire d’un coup sec l’essai non transformé. Ça pisse le sang.
— Oh, ben c’est drôle ça saigne, tu étais en plein dedans finalement.
C’est bizarre, mais je dois être le seul à ne pas trouver cela marrant.
— Bon monsieur, il va falloir recommencer. Mais maintenant, je vais être obligé de vous piquer à la saignée du coude. C’est pareil pour vous, ne vous inquiétez pas. C’est juste un peu plus embêtant car vous ne pourrez pas plier votre bras. Mais bon pour une journée, c’est pas grave.
Ben voyons. Same player game over.
Voilà, vous savez tout. Vous savez maintenant pourquoi je hais les technocrates imbéciles et les infirmières stagiaires qui posent des perfusions.
Enfin, les miennes !
Hein, quoi Marion, tu veux être infirmière ? Mais, ma fille…
(Texte inédit)
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Comme ce n’était pas moi le cobaye, j’ai beaucoup ri. Petite précision : mes veines doivent être introuvables car c’est un peu ça à chaque fois.
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hilarant!
après la haine des vélocipédistes (si je me souviens bien, un de vos textes précédents) à quand la haine des inquisiteurs?!!!!!
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Ben… moi qu’aime pas les piqûres…
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Il ne faut pas trop t’échauffer si tu ne veux pas avoir le sang qui bout !
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Apparemment on a eu la même infirmière stagiaire ou on les a prélevées dans le même nid ! J’en frissonne encore… Peur des piqûres…Bouhhhh….
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